Le Labo BnF : un mirage Potemkine

Maurice Blanchot écrivait « une réponse juste s’enracine dans la question, elle vit de la question ». Les « réponses » qui ne s’enracinent pas ne répondent donc jamais : pleines d’associations d’idées, de concepts sans fondements, d’imaginaires désertés, elles sont incapables de survivre à l’épreuve du sens sans être placées sous la perfusion de la bouillie intellectuelle, cette logorrhée qui fait si bien vendre la pensée vendeuse de la « communication managériale ».

Nous en voulons pour exemple le vain lego posé dans le Hall Est de la BnF proclamé « Le Labo ». Ce dispositif exorbitant – 450.000 euros – est le héros bavard d’un feuilleton publié au petit bonheur la chance sur un blog tendance où rebondissements faiseurs et ronflements attendus masquent mal l’indigence d’un objet scientifiquement inexistant.

La visite des lieux est instructive : la fulgurance du parallélépipède laiteux sur fond rouge écureuil ne dépasse pas celle d’un allume-gaz électrique. Ainsi nous sommes-nous projetés dans la « réalité augmentée », dans un espace organisé comme le stand d’un opticien branché ou quelques écrans déversent une lumière blême, contemplant notre image sur un écran et nous faisant, comme jadis face aux caméras des grands magasins à la période des fêtes, de vilaines grimaces à nous-même.

Un public « nomade » au milieu de nulle part

Le « nomade culturel », messie petit malin de la modernité clinquante que la direction de l’établissement invoque avec émotion lorsqu’il s’agit de cautionner la mise en œuvre de ses réformes n’a heureusement pas plus de réalité que le labo ? Cela donne le vertige d’imaginer que le visiteur et le visité n’existent pas en dehors des rodomontades des « midis de l’information » ou des élucubrations électroniques du blog.

En effet, rien du projet de contre-réforme du Haut de Jardin et de ses avatars n’est parvenu à s’inscrire dans le projet initial démocratique d’une « bibliothèque d’un genre nouveau » accompagnant le lecteur du commencement du savoir à sa radicalité, de haut en bas, et non, dans la fausse ivresse du nomadisme chic, au milieu de nulle part.

Sur le blog du Labo, le 6 juin, on apprend que les visiteurs du samedi, ignorant le « principe du papier électronique » passent néanmoins « un bon moment […] sur l’ajout de sens aux ouvrages ». Une photo figure un jeune couple nomade, portant sac à dos lapon, surpris en pleine tentative « d’ajout du sens », à l’aide – le futur est derrière nous ! – d’une tablette semblable au « télécran » de notre enfance. Pathétiques nains technologiques, les visiteurs, éblouis par l’étrange bienveillance du Labo, ne sauraient être comparés aux « penseurs associés ». Ainsi l’un des « papas penseurs» du « Labo » – posant sur le blog à la manière de celui de Rodin – ne met-il, chapeau l’artiste, « pas moins de 5 minutes pour savoir quoi faire d’une feuille de papier numérique ». Et que fait notre « penseur » ? Un avion en papier supersonique ? Un emballage spectral pour tranche de jambon holiste ? Une cocotte virtuelle ? Un dazibao quantique ? Non pas, il« navigue en transversal » comme Achab courant la baleine blanche. Finies les diagonales d’antan, d’ailleurs, ce serait bien le diable si nos penseurs ne parvenaient pas, in fine, à faire pousser les « arbres sémantiques » qui nous feront oublier les frondaisons révolues du jardin de Tolbiac !

Le 7 juin, nous lisons, soulagés, au pied de l’inquiétant « mur de sélection », qu’on lui « cherche encore un nom » ; ce matin là, nous comprenons que nous ne sommes plus «nulle part », mais « ailleurs », et cela commence à nous effrayer. Heureusement, le 18 octobre, après 4 mois d’angoisse insupportable, nous lisons sur le blog que même la puissante magie dématérialisante trouve ses limites, devant re-matérialiser pour opérer : « En cas de technologies de rupture, une matérialisation dans des contextes d’usages réels s’impose […]»

 Une recette pour dématérialiser le propos : le bourrage de mots

Aller nulle part avec l’envie d’aller nulle part n’est pas choses aisée. Pourtant, le blog du Labo vous donne la recette ; mais attention, cela ne marche pas à tous les coups : nous avons encore croisé ce matin dans le hall Est des surfeurs déçus par le voyage dans le monde réel. Pourtant, voulant avoir « toutes les chances de succès », le blog « suit une méthodologie rigoureuse. Il est animé par une équipe de veille en temps réel, un comité d’auteurs, d’artistes, de dessinateurs, de scientifiques et d’experts ». Mais en quoi réside la rigueur de cette méthodologie ? « On commence à s’affranchir des signes, les éléments réels suffisant à induire les compléments » apprend- t-on le 16 juin. Mais de quelle rigueur une telle méthodologie relève-t-elle quand elle use de concepts à ce point élargis et indéfinis qu’il serait possible d’en faire usage pour calculer la trajectoire d’une cacahouète salée lancée au dessus d’un comptoir de bistrot, vidanger une cuve à mazout à Bobigny, prendre un bain de pied dans un fusil de chasse ou encore apprendre à un caniche autiste à chanter la javanaise ? Revenons au 3 juin, jour faste dans le zodiaque de la galéjade : « C’est un dispositif multiple: espace physique (preuves de concepts, adéquation ou non adéquation des technologies) […] Seules les technologies de rupture, les techniques ou usages innovants, évoluant en permanence, sont couverts ». En somme, un lieu de tous les possibles et de toutes les ruptures, un saut branché dans l’inconnu par la voie de la dialectique conjuguée au bourrage de mots.

 Derrière les mots, le chant du grisbi

Le 26 juin, les inventeurs du labo, traversés par l’onde noire du doute écrivent, la mort dans l’âme : « va-t-on contribuer, accéder, et partager la connaissance à l’ère du numérique? ». Cessez de pleurnicher, génies !, répondent en choeur les jolies mannes du grisbi, « A l’occasion du premier atelier du Labo, sur la réalité augmentée, deux sociétés poseront les bases des échanges: Orange, avec une application de visite des Jardins de Versailles sur iPhone », et puis, ajoutent-elles en ultime, mutine pommade, « le 9 décembre, à 11h30, aura lieu le deuxième atelier du Labo […] pour lancer les débats, des présentations de technologies innovantes d’Apple, de Youtube, d’Orange Labs, et de quelques startups. » Quand les mots creusent la tombe du sens, le parfum de l’oseille fait recouvrer les esprits.

En avant la technologie du futur avec la BnF !!!

Sous le Labo, les ruines

Un de ces beaux matins qui se lèvent comme sur la planète Mars, le Comité Technique Paritaire se met à ressembler au blog. Le Président Racine annonce qu’il revient de Corée ; il y a visité une université où se tient un lieu extraordinaire semblable à notre Labo : un espace inouï de 38000 mètres carrés qui est « exactement ce qu’il faut faire ». Reste donc à multiplier par 100 la surface de notre lego lilliputien de 3,8 mètres carrés en « dématérialisant » s’il le faut quelques salles de lectures ennuyeuses, puis à y créer une armée de robots, car le seul que nous avions, présenté lors de l’inauguration comme une attraction, toujours en panne, a été envoyé à la cybercasse.

La suite de la séance nous permet de constater que la direction semble avoir été dépassée par une communication incontrôlable et pernicieuse : au lieu de valoriser le Labo, elle le démolit méthodiquement.

Sous le délire affleurent les ruines – la « réalité diminuée » – de ce qu’aurait pu être un véritable projet, ambitieux associant enfin la création, l’innovation et le développement de nouveaux outils de recherche ; rien a-t-il jamais été mis en œuvre pour faciliter l’accès des lecteurs aux nombreuses ressources numériques à travers une indispensable refonte du catalogue ? Les sommes engagées dans la réalisation du « Labo » n’eussent-elles pas mieux servi la cause du progrès en venant valoriser les bases de données et périodiques électroniques qui avaient demandé un effort budgétaire justifié et sont déconsidérées ? Cela pose de manière aiguë la question d’une telle utilisation de l’argent public dans un contexte de récession. Le Labo n’est pas une avancée pour la BnF, c’est un gadget exorbitant pour le contribuable et un recul pour nos lecteurs.

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